|                           
                      Palais de l'Élysée, Paris,   le 30 août 2007   
                      Allocution  de Nicolas Sarkozy, président de la République, à l'occasion de  l'installation de la la commission sur la libération de la croissance  présidée par Jacques Attali.  
 
Monsieur le Président Jacques Attali, 
                      Si vous me le permettez,  Cher Jacques, j'ai beaucoup d'émotion à me retrouver en face de Jacques  Attali, parce que ce n'est pas un secret de dire que je l'apprécie  beaucoup, depuis longtemps. Il faut quand même bien dire que cela fait  quelques années que l'on se demande comment on pourrait travailler  ensemble. C'est fait.   
                    Mesdames et Messieurs,   
       Je voudrais vous dire combien je suis heureux de vous recevoir,  avec le Premier ministre, Christine Lagarde, Hervé Novelli et Luc  Chatel, pour donner le coup d'envoi de vos travaux. Avec François  Fillon, nous comptons beaucoup sur vous, car nous avons une priorité :  augmenter la croissance française pour retrouver le plein emploi.  Jacques Attali a su réunir autour de cette table des compétences  d'origines diverses, et je veux remercier tout particulièrement nos  amis étrangers qui nous font l'amitié d'accompagner par leurs conseils  la voie de la réforme qui est celle que la France a choisie en mai  dernier. Que des amis étrangers portent un regard amical et sans  complaisance sur la France pour aider la France à devenir l'un des pays  au monde avec plus de croissance et avec le plein emploi, c'est quelque  chose de formidable. Mais que nous, responsables politiques, nous  n'ayons pas peur de dire à des amis étrangers: apportez-nous vos  conseils, votre expérience. Comment ont fait les autres pour réussir et  comment pouvons-nous réussir ? C'est extrêmement important. On ne peut  pas avoir uniquement un regard franco-français dans le monde  d'aujourd'hui.   
       Pour avancer, nous avons voulu nous inspirer de la méthode et de  l'ambition de nos prédécesseurs qui avaient confié en 1959 à de  prestigieux experts conduits par Jacques Rueff et Louis Armand le soin  de « lever les obstacles à l'expansion économique ». Le contexte a  changé, mais l'on retrouve quelques constantes quand on feuillette ce  rapport de juillet 1960. Je suis sûr que certains d'entre vous ont eu  la curiosité de le faire.  
       Aujourd'hui, le constat est facile à dresser :   
    
                      Nous devons augmenter notre croissance potentielle de l'ordre d'un  point pour retrouver le plein emploi et préserver notre modèle social.  Je ne serai pas hypocrite. Notre croissance est trop faible, notre  chômage est trop élevé, notre appareil productif n'est pas assez  réactif, et nos finances publiques sont dégradées. Si l'on ne porte pas  le bon diagnostic, on ne trouvera pas le bon remède. Notre pays à  besoin d'une cure de modernité intensive. Les mots ont un sens. La  France y est prête, à condition qu'on prenne la peine d'expliquer à nos  concitoyens pourquoi les réformes sont nécessaires et comment on compte  les mener à bien.   
       Nous avons commencé à agir sans attendre. On a fait beaucoup de  choses, en 100 jours··· Ces 100 jours sont une frontière que je vois  décrite tous les jours dans la presse. Mais, pour moi, la frontière,  c'est 5 ans. Je n'imaginais pas 100 jours faciles et les 100 suivants  difficiles. Cela n'a aucun sens. Je veux dire une chose : j'accélérerai  le mouvement. Parce que nous avons perdu trop de temps - je veux dire  la France -, et parce que quelqu'un qui est au chômage n'a que faire du  temps que prennent les responsables politiques qui n'osent pas décider.  
       La lettre de mission, que nous avons adressée avec François Fillon à Jacques Attali, fixe clairement vos objectifs.   
       Ils sont ambitieux. Pourquoi réunir tant de compétences autour de  la table si ce n'est pour refuser d'avoir des objectifs ambitieux ? Ils  sont ambitieux parce que seule une action menée sur plusieurs fronts  permettra d'atteindre des résultats à la hauteur de l'enjeu.  L'expérience montre que les réformes sont complémentaires entre elles.  C'est un débat que j'ai eu avec François Fillon. Nous en avons parlé  des heures et des heures avant les élections. C'était un choix  politique majeur : est-ce que l'on fait, comme d'habitude, une réforme  après l'autre ? « Encore une minute, Monsieur le Bourreau, on a le  temps ! » Ou est-ce que dans la société complexe qui est la nôtre, où  tout se tient, on fait ce que l'on n'a jamais fait, c'est-à-dire que  l'on avance sur tous les fronts simultanément. Une réforme du marché du  travail peut être privée d'effet si les marchés des biens et services  restent entravés par des règles malthusiennes. Quand on dit cela, on a  l'impression de dire quelque chose d'énorme, alors que c'est si  évident. Je n'invente rien : Rueff et Armand l'avaient bien vu, ils  soulignaient dans leur rapport le caractère « global et cohérent » de  leur programme d'action et recommandaient leur « mise en œuvre dans une  procédure d'ensemble ».   
       Votre Commission s'inscrit donc dans cette lignée et prendra le  relais, en examinant « les conditions d'une libération de la croissance  française ». On va libérer les énergies en France.  
        Vos travaux devront fournir un diagnostic précis de nos handicaps  et - j'insiste, cher Jacques - proposer des solutions concrètes. Ce  n'est pas un exercice de style. Je vous demande d'être très attentifs,  ce que vous proposerez, nous le ferons. Ces solutions concrètes  viendront nourrir le projet de loi de modernisation de l'économie que  prépare Christine Lagarde pour le début 2008. Si vous voulez aller plus  loin et préparer vous-même des textes, allez-y ! Mais sachez que vos  travaux seront utiles. Il ne s'agit pas de faire un rapport de plus.  Réflexion, décision, action dans la même séquence. Trois pistes me  paraissent particulièrement fondatrices.    
    
        La première, c'est la libération du travail. Le travail est  aujourd'hui bloqué par une inadaptation de l'offre et de la demande et  un volume de travail insuffisant : un Français consacre 48% de son  temps de vie au travail, un Britannique 58%, un Danois 60%. Remarquez,  c'est très réjouissant. Si l'on a plus de chômeurs que les autres,  c'est qu'il y a des raisons. On travaille moins que les autres. Je vous  demande d'examiner les conditions d'une augmentation de la mobilité de  l'emploi et du taux d'activité des Français. Je pense en particulier à  la nécessité de mobiliser l'extraordinaire potentiel humain des seniors  qui font l'objet, aujourd'hui, d'un gâchis considérable. On brise des  femmes et des hommes sur le seul critère de l'âge. Je pense également  aux grandes difficultés pour les jeunes de trouver leur place sur le  marché du travail, alors même que des centaines de milliers de postes  restent non pourvus.  
        Deuxième piste : dynamiser le marché des biens et services.  Augmenter la concurrence n'est pas une question d'idéologie. Il s'agit  d'un coté d'accroître le pouvoir d'achat des Français en faisant  baisser les prix, et de l'autre de permettre le développement  d'activités qui sont aujourd'hui bridées par des réglementations qui  sont obsolètes et contre-productives. C'est un enjeu de croissance.  C'est fondamental pour que les autres réformes, notamment sur le marché  du travail, produisent leurs effets. Il faut supprimer les barrières  qui existent dans différentes professions réglementées. On va aller  encore plus loin : il faut mettre fin à des rentes de situation que  rien ne justifie aujourd'hui. Le rapport Rueff-Armand donnait déjà  l'exemple des taxis, que j'aime beaucoup, il y a moins de taxis  aujourd'hui à Paris qu'en 1931 ! Il ne faut pas s'énerver, il faut  juste réfléchir. Des pharmaciens, des notaires ou des avoués, et je  vois immédiatement trembler : «  Mon Dieu, vous allez vous mettre des  gens à dos ! » Non, on va trouver du travail pour des gens qui n'en ont  pas. On va créer de la richesse pour que chacun en profite. On pourrait  en ajouter quelques autres encore. Je vous demande de nous proposer des  solutions concrètes, pragmatiques pour faire bouger les choses. Idem en  ce qui concerne les différentes lois sur le commerce et sur la grande  distribution, qui coûteraient aux consommateurs jusqu'à 9 milliards  d'euros de pouvoir d'achat par an et qui pénalisent le développement  d'activités nouvelles et l'emploi. Je vous demande de nous aider à  trouver la bonne méthode et le bon accompagnement pour faire ces  réformes. L'Allemagne, et l'Italie, cher Mario, ont montré l'exemple,  on va le suivre.  
        Troisième et dernière piste : accroître la compétitivité des  entreprises, pour affirmer la place de la France dans la  mondialisation, pour renforcer notre attractivité pour les  investisseurs étrangers. Je compte sur vous pour voir comment supprimer  ou à tout le moins alléger au maximum l'impôt papier, procéder aux  simplifications administratives indispensables pour faciliter la vie de  nos PME, notamment à travers l'instauration d'un Small Business Act à  l'européenne. Avec le Premier ministre, nous déjeunons tout à l'heure  avec le Président Barroso. Vous savez combien j'apprécie le Président  Barroso. On ne peut pas avoir les Etats-Unis qui ont un Small Business  Act et l'Europe qui ne le demande pas. C'est extravagant, quand je  pense que l'on décrit les Etats-Unis comme libéraux, et l'Europe comme  un modèle social à préserver ! Ce sont les Etats-Unis qui préservent  leurs petites entreprises et nous qui les exposons. Qui peut comprendre  une chose pareille ? Notre objectif est clair : c'est l'émergence de 2  000 nouvelles PME de 500 salariés. Lionel Stoléru, à qui nous avons  confié une mission particulière sur l'accès aux marchés publics pour  les PME, pourra alimenter vos travaux, ainsi bien sûr, qu'Hervé Novelli  qui travaille avec Christine Lagarde sur ces questions.  
        Ces réformes vont susciter des résistances.  
       Comme l'annonçait déjà le rapport Rueff-Armand, je cite, « toute  modification de l'état existant, surtout s'il est ancien, exige des  ajustements qui peuvent affecter des situations individuelles légitimes  et respectables ». On va faire preuve de pédagogie, en rendant compte à  l'opinion de notre démarche et de nos projets, communiquer le plus  possible. A quoi cela sert-il de faire venir de partout des experts, et  vous êtes des experts, s'ils n'ont pas le droit à la parole. Après  tout, que des gens compétents prennent la parole, ce n'est pas gênant.  Je vous demande de rendre compte à l'opinion de votre démarche et de  vos projets. Je vous demande de prendre des engagements avec des dates.  Enfin, je crois très important que votre Commission s'attache à  chiffrer l'impact sur la croissance de chacune des mesures proposées.  Les services de l'Etat sont à votre disposition pour vous apporter tout  concours utile dans ce domaine.  
        Certains d'entre vous participent à un rapport en cours  d'élaboration au Conseil d'analyse économique qui conclut qu'une  combinaison de réformes structurelles touchant simultanément aux  marchés du travail, des biens et des services permettrait d'approcher  puis d'atteindre une croissance proche de 3% l'an au cours des quinze  prochaines années. Le rapport de Camdessus que j'avais commandé à  Bercy, auquel certains d'entre vous ont également participé, avait  également tracé la voie du sursaut qui a été engagée.  
       Je compte sur vous pour nous aider à approfondir le diagnostic,  pour identifier précisément les verrous de la croissance. Mais surtout,  je voudrais insister sur ce point avant de conclure et que vous ne vous  réunissiez pour une séance de travail, je compte sur vous pour nous  aider à définir la séquence et la méthode de la réforme.   
       Jacques Attali a bien voulu s'engager à nous rendre compte  régulièrement de l'état de vos réflexions avant de rendre un rapport  définitif à la fin décembre. Ce sera très utile car, avec le Premier  ministre, nous voulons avancer très vite. Si d'ici un mois, il y avait  déjà des premières propositions, cela nous permettrait de les mettre en  œuvre, et vous, cela vous permettrait de comprendre que l'on ne vous a  pas réunis simplement pour parler. Car, après tout, les promesses,  certains d'entre vous, en ont connues. Rien ne vaut les faits. Voyons  dans un petit rapport d'étape ce qu'en fera le gouvernement. Dans votre  rapport définitif, je voudrais des propositions précises de textes  législatifs ou réglementaires pour que l'on puisse aller le plus vite  possible. Vous l'avez compris, pour le Premier ministre, pour les  ministres comme pour moi-même, votre Commission est fondamentale et le  rendez-vous de ce matin était extrêmement important. 
                   |